Un trésor de bibliophile, Les vingt et un jours d’un neurasthénique…
Il y a des livres que l’on regarde avec une convoitise qui dépasse le caprice ou simplement le plaisir du bel objet.
Regarder cet exemplaire des Vingt et un jours d’un neurasthénique a sur moi un effet singulier. C’est, de tous les livres du Cabinet de Lecture, celui dont j’aurai le plus de mal à me séparer. Le gabarit, la main, cette reliure d’un noir profond qui déploie tant de lumière, ce beau grain du maroquin de qualité, et la sensation instinctive et sûre que l’on a affaire à un bon, très bon relieur.
Ce titre qui m’a tout de suite accroché, alors que j’avais tout juste 20 ans. Un bon achat c’est un achat qui, 20 ans après, ne se regrette pas et même davantage, ne soyons pas mesquins, vous hypnotise encore. Oui, ce titre… Il me fait penser, différemment certes, mais tout de même, au livre de Larbaud : Ce vice impuni, la lecture. Ce sont des bons, de très bons titres… On peut simplement le lire et le relire ce titre. On peut aussi ouvrir l’exemplaire…
Les mauvaises nouvelles, comme les bonnes, n’arrivent jamais seules… alors voilà. Quand on voit l’écrin on devine le bijou. Quand on voit le soin mis à une reliure, on se doute qu’il y a un loup; une anguille cachée sous la roche ou sous la couverture. Gagné. Il y a un envoi. Et encore une fois, à voir l’objet, on sent que le cadeau, l’envoi en l’occurence, ne sera pas décevant. Il y a des gens, comme des objets, qui ont tout. C’est comme ça. D’autres non. C’est comme ça aussi.
L’envoi donc, je m’égare, c’est si facile. L’envoi c’est à son filleul et pas n’importe lequel, le fils de son éditeur. Je pourrais vous raconter les histoires, la communion du petit, les relations étroites entre les uns et les autres. Ça c’est pour l’histoire. C’est une solide part de ma passion pour les livres de collection. Je vous laisserai la chercher, cette histoire, si elle vous intéresse. Il est touchant cet envoi. Mirbeau parle à un enfant comme le faisaient les messieurs d’alors et de jadis. Comme le faisait mon propre oncle, avec bonhomie, quand j’étais petit et q’on allait se promener sur les bords de la Loire. Il se nomme lui même “gros patapouf de parrain” quand il parle à son “cher petit filleul”.
Enfin, pas de sentimentalisme, mais sur un livre avec ce titre là, c’est plus que touchant, c’est cocasse. Un joli contrepied. Le visage de l’adulte face à son propre visage d’enfant. Bref! C’est beau, ça fait plaisir. Et puis il écrit bien Mirbeau, pas seulement à travers son style, mais littéralement. C’est lisible, agréable à regarder. Il forme de belles lettres. Je suis toujours rebuté par les envois qui semblent avoir été écrits debout dans le métro à l’heure de pointe avec un stylo qui fuit. Là Mirbeau a posé le livre sur une table, il a pris une plume et son temps, et ça respire.
Pour finir, parce que encore une fois, y en a qui ont vraiment tout, c’est l’un des dix exemplaires sur Japon de l’édition originale. Il ne lui a pas refilé l’exemplaire à tout le monde le parrain non. Il a pris le meilleur. C’est une chance d’avoir ce livre, cet objet, ce témoignage, cette oeuvre. C’est pour moi un objet total, absolument étranger au concept. Ce sera une chance pour tout propriétaire futur d’avoir ce bijou. En espérant qu’il traverse encore bien des décennies. Que ceux qui en feront l’acquisition en prendront soin comme nous en avons pris soin depuis 124 ans. Rien n’est plus triste que les premiers accros qui préfigurent la disgrâce.
Ce livre est toujours, aujourd’hui, dans sa prime jeunesse.

