La reliure moderne : liste non exhaustive

La reliure moderne naît de la rencontre entre tradition artisanale et renouveau artistique du livre à la fin du XIXe siècle. Avec la fondation des Amis des Livres (1874) et l’apparition du livre de peintre, tiré en petit nombre et alliant texte et illustration contemporaine, une bibliophilie nouvelle émerge, exigeant des reliures à la hauteur de ces œuvres d’art. Henri Béraldi le résume ainsi : « Le livre de son temps doit être dans la reliure de son temps. »

Face à l’essor des cartonnages industriels (notamment ceux d’Hetzel pour Jules Verne), les relieurs d’art affirment leur singularité. Henri Marius-Michel inaugure le décor symboliste végétal – sa “flore ornementale” – tandis que l’École de Nancy introduit l’Art nouveau dans la reliure par Grasset, Prouvé, Wiener. En parallèle, Meunier, Gruel, Canape, Kieffer expérimentent formes, matières, et styles.

L’entre-deux-guerres marque une rupture : Pierre Legrain, engagé par Jacques Doucet, conçoit des décors abstraits et modernistes, réalisés par Huser, Kieffer ou Stroobants, avec cuirs exotiques, nacre ou métal. Il influence toute une génération : Rose Adler, Germain, Léotard, Gras, qui voient dans la reliure un véritable moyen d’expression artistique.

Le style Art déco s’affirme chez F.-L. Schmied, dont les ouvrages sont reliés par Gruel ou Cretté, parfois agrémentés de laques de Dunand. Cretté et Creuzevault imposent leur vocabulaire géométrique et pictural. Paul Bonet introduit typographie intégrée, motifs surréalistes, effets optiques. Ses projets sont confiés à Trinckvel, Lagadec, Desmules.

Après 1945, Henri Mercher développe un emboîtage novateur et emploie Plexiglas, or, pierres. Pierre-Lucien Martin explore une abstraction rigoureuse. D’autres créateurs – De Coster & Dumas, Jean de Gonet, Monique Mathieu, Georges Leroux, Knoderer – poursuivent cette dynamique, entre poésie, radicalité, et innovation matérielle.

Aujourd’hui encore, la reliure d’art reste un champ d’expérimentation, où technique, matière et vision artistique se conjuguent pour faire du livre un objet d’exception.

Quelques relieurs

Affolter Paul (1859–1929)
Relieur parisien, établi en 1880, dont l’atelier était situé d’abord 10 rue Richer puis 50 rue Laborde. Il débuta en faisant des travaux assez courants, pour la librairie Fontaine, puis à partir de 1894 se lança dans la reliure de bibliophiles.
« Il faut citer également les excellentes signatures des Affolter, Chambolle, David, Joly, Maylander et Magnin de Lyon.» Le trésor du bibliophile : époque romantique 1801-1875, Carteret, Léopold, p. 20. Fléty note qu’à partir de 1894, Affolter « se lança dans la re- liure de bibliophiles », et ses œuvres sont régulièrement citées pour leur constance et leur élégance. Dictionnaire des relieurs français ayant exercé de 1800 à nos jours, Julien Fléty.

Alix Henri (relieur‐doreur)
En 1947, Henri Alix fonde son atelier de reliure au 52, rue Saint-André-des-Arts, au cœur du 6e arrondissement de Paris. Très vite, il se distingue par un travail rigoureux alliant tradition et modernité, particulièrement dans les « reliures jansénistes », épu- rées et élégantes, souvent infusées de décors floraux après-guerre. Son épouse Hélène, fille du relieur Paul Guglielmoni, l’accompagne activement, consolidant la production et nourrissant une clientèle fidèle dans le Paris littéraire. Après sa mort brutale en 1959, Hélène Alix poursuit l’activité avec la même exigence, assurant la pérennité de l’atelier. Celui-ci devient une référence en matière de reliure sobre et soignée, respectant les volumes sans ostentation, mais avec un soin minutieux du cuir, du dos et du marquage à chaud.

Aussourd René Louis Auguste (29 août 1884 – 29 août 1966)
Neveu de Charles Meunier, lui-même premier doreur chez Chambolle-Duru avant de s’établir à son compte, René Aussourd perpétue une tradition familiale d’excellence dans l’art de la reliure. Formé comme doreur, il ouvre son propre atelier à Paris, d’abord rue de Stockholm, puis en 1912 au 8 rue du Fouarre. Actif jusqu’aux années 1960, il se distingue par des reliures classiques aux lignes épurées, notamment en demi-maro- quin, exécutées avec une rigueur technique exemplaire. Ses reliures, souvent signées « Aussourd », sont recherchées pour leur élégance discrète et leur finition irréprochable. Héritier direct de l’âge d’or de la reliure parisienne, il reste une figure respectée de la tradition artisanale du XXe siècle.

Bettenfeld Jean
L’Atelier Bettenfeld-Rosenblum est un atelier de gainerie d’art fondé en 1895 par Jean Bettenfeld au 86 de l’Avenue Ledru-Rollin à Paris, dans le Quartier de la rue du Fau- bourg Saint-Antoine et toujours en activité.

Canape Georges (1864–1940)
Fils du relieur Pierre-Jules Canape, il hérite de l’atelier familial en 1894 et s’installe au 18 rue Visconti à Paris. Il y développe une reliure de luxe raffinée, influencée par l’Art nouveau et les créations de Marius-Michel. Canape collabore étroitement avec des décorateurs renommés comme Adolphe Giraldon, Robert Bonfils ou Pierre-Émile Le- grain, et réalise de nombreuses reliures pour Jacques Doucet, amateur d’avant-garde. Il emploie jusqu’à 25 ouvriers dans son atelier et joue un rôle institutionnel important, présidant la Chambre syndicale de la reliure de 1919 à 1927. Sa bibliothèque person- nelle, en grande partie reliée de ses mains, fut dispersée aux enchères en 1938.

Devauchelle Roger (1915–1993)
Relieur et historien majeur de la reliure française, Roger Devauchelle incarne l’alliance rare d’un savoir-faire exceptionnel et d’une érudition reconnue. Après un apprentissage précoce, il perfectionne son art à Paris auprès de Georges Lahaye, puis, après la guerre, ouvre son atelier dans les Landes avant de s’installer définitivement à Paris. Artisan complet, il maîtrise toutes les techniques – reliure, dorure sur cuir et sur tranches – et obtient trois titres de Meilleur Ouvrier de France. Il devient rapidement le spécialiste de la reliure pastiche et de la restauration de livres anciens, reconstituant avec exigence les décors historiques grâce à une remarquable collection de fers.
Historien rigoureux, il publie entre 1959 et 1961 La Reliure en France de ses origines à nos jours, ouvrage de référence encore inégalé, couronné par l’Institut. Sa thèse soutenue à la Sorbonne sera publiée sous le titre «La Reliure». Il consacre également un ouvrage à Joseph Thouvenin. Commandeur de la Légion d’honneur, il transmet son atelier à son fils Alain en 1990, assurant la continuité d’une tradition rare, sollicitée par les plus grands bibliophiles internationaux.

Desmules René.
Né en 1909, il fut apprenti chez Noulhac puis chez Maylander et travailla ensuite chez Pierre-Legrain, chez Gruel et chez Marot-Rodde avant de s’établir à son compte. Il tra- vailla alors à façon pour les plus grands décorateurs: Rose Adler, Anthoine-
Legrain, Paul Bonet, Bonfils, Creuzevault, Madeleine Gras, Georges Leroux, Thérèse Moncey, etc. Il était considéré comme l’un des plus habiles relieurs de son temps.

Franz (Franz Ostermann) (1840–1938)
Né en Alsace, il s’installe à Paris après 1870 et ouvre un atelier dès 1872 boulevard Malesherbes, qu’il transfère rue Ampère en 1902. Franz se distingue par ses reliures signées de son prénom, réalisées dans un style personnel mêlant rigueur classique et touches décoratives raffinées. Il est régulièrement cité dans les études sur la reliure du XIXe siècle, notamment dans les ouvrages de référence comme Les Relieurs français (1500–1800) et les textes de la bibliophilie contemporaine.

Gruel Léon (1841–1923)
Héritier d’une dynastie de relieurs remontant à Isidore Deforge (fondé en 1811), Léon Gruel incarne l’excellence de la reliure française de la fin du XIXe siècle. Il reprend l’atelier familial dans les années 1860 aux côtés de sa mère Catherine Gruel et de son demi-frère Edmond Engelmann, avant d’en devenir l’unique directeur en 1891. Installé rue Saint-Honoré, son atelier devient une référence pour les bibliophiles, réputé autant pour la qualité de ses reliures que pour sa dimension de “musée” privé.

Relieur, historien et collectionneur, Gruel est l’auteur du Manuel historique et bibliographique de l’amateur de reliures, un ouvrage de référence encore consulté aujourd’hui. Chevalier de la Légion d’honneur, vice-président du Cercle de la Librairie, il joue un rôle structurant dans la profession, notamment en organisant la présence des relieurs aux Expositions Universelles. Connu pour son érudition et son attachement aux styles historiques, il entretiendra une célèbre controverse avec Henri Marius-Michel sur la modernité en reliure. À sa mort, une partie de sa collection prestigieuse est dispersée aux enchères, confirmant sa place centrale dans l’histoire de la reliure d’art.

Huser Georges (1879‐1961)
Ouvrier chez David, chez Noulhac et chez Lemardeley, il s’installa en 1903 en prenant la suite de ce dernier. Il était apprécié pour la finesse de ses reliures comparable à celle de Canape. Devauchelle, "La Reliure en France", T. III, p. 262, «Huser remit peu à peu à l'honneur la reliure fine, élégante qui avait fait la gloire de Lortic». Sa signature figure sur des œuvres remarquables.

Kauffmann & f. horclois
Fondé par Karl Kauffmann, l’atelier s’est distingué par la qualité exceptionnelle de ses reliures, devenant une référence dans le domaine de la bibliophilie. À la disparition de Karl Kauffmann en 1929, son gendre, Francis Horclois, a pris la direction de l’atelier, perpétuant son savoir-faire jusqu’en 1961.

Kieffer René (1893‐1988)
Formé à l’École Estienne entre 1889 et 1893 dans la spécialité dorure, René Kieffer poursuivit son apprentissage chez Chambolle-Duru, avant de fonder son propre atelier en 1898. Il établit successivement ses locaux boulevard Saint-Germain, rue Saint-An- dré-des-Arts, puis en 1910 au 18 rue Séguier, dans le VIe arrondissement de Paris. Véritable acteur du monde bibliophilique de l’entre-deux-guerres, il s’illustra dans de nombreuses expositions en France et à l’international, et occupa des fonctions à la tête du Syndicat des éditeurs de livres d’art et de publications à tirage limité.

Ateliers laurenchet
Les Ateliers Laurenchet sont un nom reconnu dans la reliure d’art contemporaine en France, notamment à Paris, où ils perpétuent l’excellence artisanale dans la seconde moitié du XXe siècle. Actifs dès les années 1960 et encore mentionnés dans les dé- cennies suivantes, ils sont connus pour leur maîtrise technique irréprochable et leur capacité à réaliser des reliures haut de gamme pour bibliophiles et libraires spécialisés.

Magnin Marius (1860–1953)
L’un des grands noms de la reliure lyonnaise du XXe siècle. Héritier de l’atelier familial fondé par son frère Lucien, il s’y engage d’abord à contrecœur, avant de s’imposer du- rablement dans le paysage bibliophilique. Il reprend les techniques de la reliure mosaï- quée, puis fait évoluer son style à partir des années 1910 sous l’influence de l’Art déco, aussi bien dans les thèmes abordés – contes libertins, Rabelais, récits médiévaux – que dans l’esthétique. Ses décors, souvent conçus en collaboration avec des artistes ou des- sinateurs professionnels, témoignent d’un goût sûr et d’un réel sens décoratif.

Aidé par son épouse, puis par sa fille Mireille dès les années 1920, il expose régulièrement dans les Salons lyonnais des années 1930. Sa production reste classique dans son exécution mais raffinée, et sa longévité professionnelle est remarquable : il relie jusqu’à un âge avancé, avant de transmettre son atelier à sa fille. «Il faut citer également les excellentes signatures des Affolter, Chambolle, David, Joly, Maylander et Magnin de Lyon.» Le trésor du bibliophile : epoque romantique 1801-1875, Carteret, Léopold, p. 20.

Vermorel Victor (1848‐1925)
Relieur français renommé, connu pour son travail de luxe et son atelier parisien. Après son apprentissage à Lyon, il a travaillé à Paris chez Pagnant avant d’ouvrir son propre atelier en 1894, rue du Faubourg Saint-Honoré. Son successeur, Hélène Hugonet, a continué à exercer dans le même style après sa mort en 1925.

Martin Pierre‐Lucien (1913–1985)
Relieur d’art majeur du XXe siècle, Pierre-Lucien Martin se distingue par une approche résolument moderne de la reliure, alliant exigence technique et recherche esthétique. Formé à l’École Estienne (1927–1931), il débute dans des ateliers industriels avant de s’orienter vers la reliure d’art au tournant des années 1940. Lauréat du prix de la Reliure originale, il s’impose rapidement comme l’un des grands noms de son époque aux cô- tés de Paul Bonet, Rose Adler ou Henri Creuzevault. Ses compositions, souvent d’une rigueur géométrique sobre et élégante, sont aujourd’hui très recherchées des biblio- philes. Une exposition posthume à la Bibliotheca Wittockiana lui est consacrée en 1987, confirmant la place éminente qu’il occupe dans l’histoire de la reliure contemporaine.

Marius‐michel (Henri‐François‐Victor Michel, 1846–1925)
Fils du doreur Jean Michel, dit Marius-Michel père, Henri-François-Victor Marius Mi- chel – connu sous le nom de Marius-Michel fils – est l’un des plus grands relieurs-doreurs d’art de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Il fonde en 1876 avec son père leur propre atelier, situé rue du Four à Paris, avec pour ambition d’unir pleinement décor et reliure. Chef de file du renouveau de la reliure d’art, Marius-Michel remet également à l’honneur des techniques anciennes comme le cuir incisé et modelé, parfois en collabo- ration avec des artistes comme Lepère ou Steinlen.

Auteur de deux ouvrages de référence – La Reliure française depuis l’invention de l’impri- merie (1880) et L’Ornementation des reliures modernes (1889) –, il théorise sa pratique et légitime la reliure comme un art à part entière. Il confie son atelier à Georges Cretté en 1918, et meurt en 1925, reconnu comme un maître incontesté du livre relié.

Meunier Charles (1866–1948)
Il occupe une place singulière dans l’histoire de la reliure française. Formé très jeune chez Bénard, il passe ensuite par les ateliers Domont, Maillard, puis Marius Michel, qu’il quitte à seulement 20 ans pour fonder son propre atelier. Si ses premières réalisa- tions portent encore l’empreinte de son maître, il s’émancipe rapidement pour affirmer un style personnel, audacieux et novateur. Figure de proue de la reliure emblématique aux côtés de Pétrus Ruban, Meunier se distingue par son inventivité, son goût pour l’ex- périmentation et une identité esthétique immédiatement reconnaissable. Son œuvre, marquée par une créativité bouillonnante parfois irrévérencieuse des canons clas- siques, fait de lui l’un des rares relieurs français dont le style est véritablement unique. Ses collaborations avec des artistes comme Carlos Schwabe – notamment pour Les Fleurs du Mal – ont laissé une empreinte durable dans la bibliophilie.

Pagnant Édouard (1851–1916)
Relieur-doreur parisien formé pendant sept ans chez Chambolle-Duru, Édouard Pa- gnant s’établit à son compte en 1876, d’abord rue Saint-Dominique, puis au 30 rue Ja- cob. Apprécié pour la qualité de son travail, il collabore avec plusieurs relieurs réputés, dont Marmin, et compte parmi ses soutiens le célèbre bibliophile Octave Uzanne. Ses reliures, souvent classiques et soignées, sont aujourd’hui prisées des collectionneurs pour leur élégance et leur exécution impeccable.

Semet (Marcelin) et Plumelle (Georges).
Tous deux ouvriers de la maison Gruel, le relieur Marcellin Semet et le doreur Georges Plumelle s’associèrent en 1925 Ils s’associent en 1925 pour reprendre le fonds de Pinar- don créant la célèbre signature Semet & Plumelle qui pendant trente ans contribua hau- tement au renom de la reliure française. Après 1955, Semet s’étant retiré en province, Plumelle continua à exercer seul. Il réalisa jusqu’en 1980 de très nombreuses reliures à la façon “Semet & Plumelle” et continua à les signer de leurs deux noms.

Stroobants Jean, (1856‐1922).
Jean Stroobants, né à Paris en 1856, fit son apprentissage auprès de Vignaux et Pas- quier, avant de parfaire sa formation chez Camus, Lenègre et Bertrand, où il accéda au poste de premier relieur. Par la suite, il s’établit à son compte et travailla à façon pour plusieurs confrères, dont Victor Champs, dont il reprit l’atelier en 1904 au 4, rue Git- le-Cœur. Relieur infatigable, il exerça jusqu’à sa mort en 1922. Son gendre, Paterson, lui succéda et signait ses réalisations « Stroobants-Paterson » jusqu’à son décès en 1936 (réf. Fléty, p. 164).

Zendel Joseph
Actif dans la première moitié du XXe siècle, Joseph Zendel est un relieur parisien dont le nom reste attaché à des reliures d’une facture élégante et très soignée. Installé à Paris, notamment au 35 rue Claude Bernard, il exerce dans les années 1920 à 1940 environ, exécutant des reliures classiques et décoratives pour une clientèle bibliophile exigeante dans une époque bibliophile riche en commandes de luxe. 


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